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Maurras Charles - L'Allemagne et nous


Auteur : Maurras Charles
Ouvrage : L'Allemagne et nous
Année : 1945

Lien de téléchargement : Maurras_Charles_-_L_Allemagne_et_nous.zip

Mon instinct anti-germaniste. Je parle d’abord de ce qu’il y a en moi d’instinct profondément anti-germaniste. Je suis né le 20 avril 1868, en Provence, à Martigues (Bouches-du-Rhône), un peu plus de deux ans avant la guerre de 1870, bien loin de son théâtre, mais la répercussion en fut immense en moi et autour de moi. Tous mes lecteurs habituels savent que les souvenirs de ma petite enfance remontent très loin. Je suis sûr, ici, de n’être dupe d’aucun mirage. Je vois encore dans le bureau de mon père les portraits de l’empereur, de l’impératrice et du petit prince. Ce ne pouvait être qu’avant le mois de mai 1871 où l’on m’emmenait à la campagne ; au retour, après le Quatre-Septembre, je ne revois plus ces portraits. Dans le trajet, il me souvient parfaitement d’avoir traversé Marseille, par un jour d’émeute sur la Plaine Saint-Michel ; mon père était venu nous chercher précipitamment à Roquevaire, ma mère et moi, afin d’être tous réunis en cas de désordre. Les semaines suivantes, je vois mon père rapporter de la Mairie les mauvaises dépêches, et mon père et ma mère, front contre front, les yeux en larmes, suivre sur la carte les progrès de l’invasion, dans un atlas brun que j’appelais« Le Live des Pussiens ». Je vois, au delà du canal, sur le Cours, la garde nationale faisant ses exercices, commandée par mon parrain, le professeur d’hydrographie, et dont le commis de mon père, nommé Corneille, était le clairon. Je vois un peu plus tard, à la maison, la halte des mobiles que l’on embarquait pour réprimer l’insurrection algérienne et je me vois touchant avec respect les shakos, les gibernes et les ceinturons dénoués. Ces souvenirs m’ont obsédé. Ils sont les seules tristesses de ma petite enfance, entourée, turbulente et gaie. Ce coin est bien le seul qui fût voilé d’un crêpe qui a pesé sur toute ma vie. En 1943, devant les sentinelles allemandes aux fusils braqués sur nos ponts, je disais à mes concitoyens : — Voilà réalisé le cauchemar de mon existence. J’ai toujours redouté qu’ils ne viennent en Provence, jusqu’à Martigues. L’antagonisme des Français et des Allemands a dominé ma jeunesse. Dans les familles les plus paisibles, on ne donnait pas à un marmot de sabre de fer blanc qui ne fût destiné à planter le drapeau français sur les murs de Berlin. Arrivé à Aix pour y commencer ma huitième, j’eus un vrai coup de foudre en apprenant que mon professeur allait être un Lorrain, le propre beau-frère de l’abbé Wetterlé qui, lui-même, un peu plus tard, devait venir surveiller nos études et nos cours de récréation pendant quelques mois. Des Lorrains !. . . Et qui avaient opté pour la France !. . . Dans la maison où nous avions loué le premier étage, une famille de Messins, réfugiés pour la même raison, habitait le second et le troisième. Leur contact nous émut par la dignité du foyer, sa gaîté charmante et simple, son esprit religieux et national, son ardente fidélité au paradis perdu. Le vieux père, la vieille mère, leur fille, leur fils, se ressemblaient par les mêmes traits ; il fallait les voir réunis, un jour entre les jours, graves, sombres, commémorant la capitulation de leur belle ville inviolée ; on tirait d’un petit coffret certain objet mystérieux, enveloppé d’étoffe précieuse, et qu’on démaillottait avec respect ; un morceau de « pain du siège » apparaissait, tout noir. Après six ans, sept ans, il était devenu plus dur que la pierre. La relique sacrée !... On la prenait en main, chacun la saluait et la caressait, les femmes avec des larmes, les hommes avec le dur accent d’un regard plein de foi. . . Car toutes les années qui suivirent, ce fut aussi, dans notre escalier, au temps des congés militaires, le même gai fracas des sabres contre l’éperon de Saint-Cyr ou de Polytechnique annonçant l’avenir des fils, tous officiers. Je me destinais à l’École Navale. Devenu sourd à quatorze ans, il y fallut renoncer. Le plus dur fut, il m’en souvient bien, de quitter mon vieux rêve d’aller canonner quelque port allemand et traquer, dans la mer du Nord ou en Baltique, cette entrée du canal de Kiel que l’on commençait à construire avec les milliards de notre indemnité ! Vers 1882, quand Jules Ferry conseilla de ne pas nous hypnotiser sur « la ligne bleue des Vosges », ce fut un scandale que les adolescents de mon âge ressentirent très vivement. Quoique riverains de la mer, ils étaient contre la politique coloniale, pour la politique de recueillement, en vue de la reprise des provinces perdues. L’Alsace-Lorraine avant tout !. . . Ce fut le mot d’ordre général. J’emportai à Paris ce bagage moral. À Paris. J’ai publié un certain nombre de volumes de prose et de vers, essais critiques, littéraires et philosophiques, études politiques et sociales, d’où l’on a tiré un Dictionnaire politique et critique en cinq grands in-octavo et on y pourra lire avec fruit l’article « Allemagne ». Entre d’autres ouvrages, plusieurs sont consacrés presque entièrement aux relations franco-allemandes : Kiel et Tanger, Quand les Français ne s’aimaient pas, Devant l’Allemagne éternelle. Il y a deux ans, je publiai encore, en Provence, Sans la muraille des cyprès, allégorie du rempart nécessaire de la Patrie. En 1888, j’eus dix-huit ans. C’était le boulangisme. Tant que Boulanger n’est qu’un soldat démagogue et radicalisant, je suis anti. Quand il prend la figure populaire du Général Revanche, je deviens boulangiste, et, tout jeune écrivain, je rejoins mon ami Maurice Barrès, qui s’était déjà déclaré en 1888. J’ai vingt ans. En 1889, ce sont les élections. Je suis majeur. Quoique antisémite, je vote, par discipline, pour le candidat juif Naquet. Dès l’époque de mes premiers articles politiques, je cite beaucoup la remarquable formule de Robert de Bonnières que « l’idée de revanche tient longtemps le rôle d’une Reine de France », en ce sens qu’elle maintient l’unité politique de la Nation, fait l’union des citoyens, s’impose à tous les partis, fait (ou faisait) voter les crédits militaires à l’unanimité. J’ai tant cité la phrase qu’on me l’a attribuée parfois, bien que je l’aie presque toujours accompagnée du nom de son auteur ou mise entre guillemets. Un parti de la revanche me parut, en 1940, être la garantie de toute revanche française. Quand Laval et Déat insultèrent cette idée, je réagis contre eux, automatiquement. En 1894, Barrès fonde La Cocarde. J’y suis son bras droit. Inutile de dire dans quels sentiments je collabore avec lui et le socialiste Gabriel, député de Nancy. Le sentiment de ces hommes de l’Est correspondait très exactement au mien. Toute ma vie politique a d’ailleurs été en contact permanent et étroit avec des hommes de l’Est, dévoués à l’idée de revanche : le général Mercier, à qui nous devons le canon de 75, les frères Buffet, le commandant Picot, qui avait battu Jules Ferry dans les Vosges aux élections de 1885, etc., etc. C’est dans leur atmosphère que se situait pour moi la véritable orientation de la politique extérieure française. Jusqu’ici, la France avait été presque unanime sur cette direction. Les instituteurs publics se signalaient par leur ardeur patriotique et leur esprit de revanche. Pas un n’eût été capable de dire, comme fit l’un d’eux, vingt-cinq ans plus tard, dans une réunion électorale de 1914 : — Nous aimerions mieux être Allemands que de voir nos fils faire trois ans de service militaire. La politique coloniale de Ferry n’avait pas encore mordu sur le sentiment national anti-allemand. Mais déjà, en 1892, il y avait eu un fait nouveau. Le Tzar à Paris. Ce fait nouveau, c’était l’Alliance Russe que tous nos bons badauds croyaient dirigée contre l’Allemagne et qui, tout au contraire, travaillait en sa faveur. Suivant l’expression européenne, Saint-Pétersbourg se faisant « l’honnête courtier de Berlin », organisait, le 18 juin 1895, la rencontre de nos vaisseaux avec la flotte allemande dans le canal de Kiel qui venait d’être ouvert. L’année suivante, le Tsar et la Tsarine se faisaient acclamer à Paris. Rédacteur au Soleil, je refusai absolument de faire un seul article en l’honneur des souverains russes, et je dis pourquoi. Mon directeur, M. Édouard Hervé, de l’Académie française, me fit dire et vint me dire lui-même que l’avenir pourrait bien me donner raison. L’avenir. . . Deux ans plus tard (1898), la tentative de coalition franco-germano-russe se brisa sur l’écueil désertique de Fachoda. À partir de ce moment-là, l’idée de Revanche perd du terrain ; le peuple français, à qui l’on montre deux ennemis au lieu d’un seul, ne sait plus où donner de la tête. Puis, il écoute trop les socialistes ; à leur suite, au chant de Pottier, « Crosse en l’air et rompons les rangs », l’anti-militarisme et l’anti-patriotisme, masques du pacifisme, font de terribles progrès. Les deux Athènes (1898). Je fais l’une de mes premières courses hors de France pour les Jeux olympiques d’Athènes, et constate quatre choses : 1. combien toutes les nations, sauf la nôtre, deviennent de plus en plus nationalistes ; 2. combien l’alliance russe nous a fait de tort dans l’Orient grec, latin et même turc ; 3. combien l’importance matérielle de la France a baissé dans ces pays du Levant autrefois tout à nous ; 4. je commence à me représenter toute la décadence que la démocratie a imposée à la France depuis cent ans. L’Affaire Dreyfus (1897). Partie d’Angleterre, en réponse à la mission Congo-Nil, « l’Affaire » est vite devenue une manoeuvre de l’espionnage allemand pour se dégager du contre-espionnage français, une manoeuvre de l’armée allemande contre l’armée française, devenue inquiétante. Paris sait ce que fait Berlin qui ne sait pas ce que fait Paris. Paris a pu se pourvoir d’un mystérieux nouveau canon, le 75, sans être aperçu de Berlin. L’affaire Dreyfus n’est pas une affaire judiciaire, c’est un cas de salut public. Bainville, dans son Histoire de France, a relevé un de mes aphorismes : — Si Dreyfus est innocent, qu’on le fasse Maréchal de France, mais que l’on fusille douze de ses principaux défenseurs. Je fais donc une campagne anti-dreyfusarde violente qui ne s’arrête pas de dix ans, et dont le résultat a été enregistré par un critique républicain peu suspect, Albert Thibaudet : Politiquement, les dreyfusards furent vainqueurs sur toute la ligne. Moralement, intellectuellement, ils ont été vaincus. Ce sont leurs adversaires qui l’ont emporté ; les idées des Droits de l’Homme, de la démocratie, etc., ont été battues au profit du nationalisme. Fidèle à Dreyfus, le noble Péguy se rattrapa sur Jaurès qu’il accabla, dans un livre fameux, d’invectives et de sarcasmes. ...

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