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Marat Jean-Paul - Les chaines de l'esclavage


Auteur : Marat Jean-Paul
Ouvrage : Les chaines de l'esclavage
Année : 1774

Lien de téléchargement : Marat_Jean-Paul_-_Les_chaines_de_l_esclavage.zip

L'ouvrage que je publie aujourd'hui était dans mon porte-feuille, depuis bien des années ; je l'en tirai en 1774, à l'occasion de la nouvelle élection du parlement d'Angleterre. Me sera-t-il permis de dire ici quelques mots de son origine et de ses succès : la sourde persécution qu'il m'attira de la part du cabinet de Saint-James, mettra mes lecteurs en état de juger du prix qu'y attachait le ministère Anglais. Livré dès ma jeunesse à l'étude de la nature, j'appris de bonne heure à connaître les droits de l'homme, et jamais je ne laissai échapper l'occasion d'en être le défenseur. Citoyen du monde, dans un temps où les Français n'avaient point encore de patrie, chérissant la liberté dont je fus toujours l'apôtre, quelquefois le martyr, tremblant de la voir bannie de la terre entière, et jaloux de concourir à son triomphe, dans une isle qui paraissait son dernier asile, je résolus de lui consacrer mes veilles et mon repos. Un parlement décrié par sa vénalité touchait à sa fin le moment d'élire le nouveau approchait ; sur lui reposaient toutes mes espérances. Il s'agissait de pénétrer les électeurs de la Grande-Bretagne, de la nécessité de faire tomber leur choix sur des hommes éclairés et vertueux ; le seul moyen praticable était de réveiller les Anglais de leur léthargie, de leur peindre les avantages inestimables de la liberté, les maux effroyables du despotisme, les scènes d'épouvante et d'effroi de la tyrannie ; en un mot, de faire passer dans leur âme le feu sacré qui dévorait la mienne. C'était le but de mon ouvrage. Mais le moyen qu'il pût être accueilli d'une nation fortement prévenue contre tout ce qui sent l'étranger, s'il ne paraissait dans la langue du pays ? Pour intéresser d'avantage à sa lecture, je tirai de l'histoire d'Angleterre presque tous les exemples à l'appui de mes principes. Dévorer trente mortels volumes, en faire des extraits, les adapter à l'ouvrage, le traduire et l'imprimer, tout cela fût l'affaire de trois mois. Le terme était court, il fallait toute mon activité, et mon ardeur était sans bornes : pendant cet intervalle, je travaillai régulièrement vingt et une heures par jour : à peine en prenaisje deux de sommeil ; et pour me tenir éveillé, je fis un usage si excessif de café à l'eau qu'il faillit me couler la vie, plus encore que l'excès du travail. L'ouvrage sortit enfin de dessous la presse. Le désir extrême que j'avais qu'il vit le jour à temps, soutint mon courage jusqu'à cette époque : aussi lorsque je l'eus remis aux publicateurs, croyant n'avoir plus rien à faire que d'en attendre tranquillement le succès, tombé-je dans un espèce d'anéantissement qui tenait de la stupeur : toutes les facultés de mon esprit étaient étonnées, je perdis la mémoire, j'étais hébété, et je restai treize jours entiers dans ce piteux état, dont je ne sortis que par le secours de la musique et du repos. Dès que je pus vaquer à mes affaires, mon premier soin fut de m'informer du sort de l'ouvrage ; on m'apprit qu'il n'était pas encore dans le public. J'allai chez les publicateurs, chargés de le faire annoncer, par les papiers nouvelles : aucun n'y avait songé, quelques-uns même revinrent sur leur engagement, j'en trouvai d'autres : je me déterminai à faire moi-même les démarches nécessaires ; et dans mon impatience, je courras chez les différents éditeurs de ces papiers. Comme il n'annoncent aucun livre sans payer, j'offris d'acquitter à l'instant les frais ; tous refusèrent, sans vouloir donner aucune raison de cet étrange refus. Un seul 1 me fit entendre que le discours aux électeurs de la Grande-Bretagne, mis à la tête de l'ouvrage, pouvait en être la cause. Il n'était que trop visible qu'ils étaient vendus. Voulant en avoir la preuve, je lui offris dix guinées, pour une simple annonce, au lieu de cinq chelins, qui était le prix ordinaire : je ne pus rien gagner ; et je ne doutai plus qu'une bourse mieux remplie que la mienne n'eut pris les devants, et couvert l'enchère. L'empressement que le Sieur Becquet, libraire du prince de Galles, montra des que le livre parut, de faire rayer son nom de la liste des publicateurs, me mit sur la voie : je compris trop tard que le ministre craignant que cet ouvrage ne bârat ses menées, pour s'assurer de la majorité du parlement, avait acheté imprimeur, publicateurs et journalistes. Je n'eus pas de peine à remonter à la source, au moyen des renseignements que je venais de me procurer : mon imprimeur était Écossais attaché au lord North, au quel il faisait passer les feuilles de l'ouvrage, à mesure qu'elles sortaient de la presse. Quelques mots qu'il laissa tomber un jour dans la conversation m'avaient appris ses relations avec ce Lord ; et en me présageant que la trop grande énergie du livre l'empêcherait d'être accueilli, il alla jusqu'à dire qu'elle m'attirerait des désagréments. « Instruit par l'exemple de Wilkes, des attentats auxquels un ministre audacieux pourrait se porter contre moi, et peu d'humeur de lui vendre paisiblement le droit de m'outrager, j'eus pendant six semaines une paire de pistolets sous mon chevet, bien déterminé à recevoir convenablement le messager d'état qui viendrait enlever mes papiers. Il ne vint point ; le ministre informé de mon caractère, avait jugé à propos de n'employer que la ruse, d'autant plus assuré de son fait, qu'en ma qualité d'étranger, je n'étais pas présumé connaître les moyens de le déjouer. Indigné des entraves mises à la publication de mon ouvrage, je pris le parti d'envoyer en présents l'édition presqu'entière aux sociétés patriotiques du Nord de l'Angleterre, réputées les plus pures du royaume : les exemplaires à leurs adresses furent exactement remis par les voitures publiques. Le ministre en eût vent : pour rendre nulles toutes mes réclamations, il m'environna d'émissaires qui s'attachèrent à mes pas, gagnèrent mon hôte, mon domestique, et interceptèrent toutes mes lettres, jusqu'à celles de famille. Surpris de voir la correspondance de mes connaissances, de mes amis, de mes parents, tout-à-coup interrompue, je ne doutai point que je ne fusse entouré d'espions. Pour les dépayser, je pris le parti de passer en Hollande, de revenir à Londres par le nord de l'Angleterre, et de visiter en passant les sociétés patriotiques, auxquelles j'avais fait passer mon ouvrage. Je séjournai trois sen Carlisle, à Berwick et Newcastle. C'est là que toutes les menées du ministre me furent dévoilées : j'appris que trois de ces sociétés m'avaient envoyé des lettres d'affiliation dans une boîte d'or, qui fût remise en mon absence à l'un de mes publicateurs, des mains duquel les émissaires ministériels l'avaient retirée en mon nom. Celles de Newcastle en particulier, n'ayant pas voulu souffrir que je supportasse seul les frais de l'édition que j'avais distribuée en cadeaux, me les remboursèrent exactement, après en avoir fait une nouvelle, qu'elles répandirent dans les trois royaumes ; après m'avoir fêté chacune à son tour, et m'avoir décerné la couronne civique. Mon triomphe était complet ; mais il était tardif : j'eûs la douleur de voir qu'à force de répandre l'or à pleines mains 1, le ministre était parvenu à étouffer l'ouvrage jusqu'à ce que les élections fussent finies ; et qu'il ne lui laissa un libre cours, que quand il n'eut plus à redouter le réveil des électeurs. On voit par cet historique que ce n'est pas d'aujourd'hui que je sacrifie sur les autels de la liberté. Il y a dix-huit ans que je remplissais en Angleterre les devoirs qu'impose le civisme le plus pur, avec le même zèle que je les ai remplis en France depuis la révolution : et si pour servir plus efficacement ma patrie, j'ai bravé tous les dangers ; je ne craignis point pour provoquer la réforme de la constitution Anglaise et cimenter la liberté, d'attaquer les prérogatives de la couronne, les vues ambitieuses du monarque, les menées du ministre, et la prostitution du parlement. Au reste, la persécution que j'éprouvai alors, n'a rien de commun avec celle que j'ai éprouvée depuis. Elle m'a coûté, il est vrai, bien des démarches, une grande perte de teins, le chagrin de manquer mon but, et l'honneur d'être noté en lettres rouges sur les tablettes de Georges III. Mais à compter pour rien celui d'être noté, en lettres de sang, sur celle de Louis XVI et de tous les potentats de l'Europe, tous les périls auxquels j'ai échappé, tous ceux qui me menacent encore ; les maux inouïs que j'ai souffert pour la cause publique sont sans nombre. Si du moins la France était libre et heureuse. Hélas ! Elle gémit plus que jamais sous le joug de la tyrannie. O ma patrie ! Comment la plus puissante des nations fut-elle toujours la plus opprimée ? Quels outrages n'a tu pas essuyé, depuis tant de siècles, de la part de tes rois, de tes princes, de tes magnats, ces dieux de la terre par leur orgueil, et par leurs vices l'écume du genre humain ? À quelle misère ne t'a pas exposé la cupidité de tes agents ? Quels maux ne t'ont pas fait tes conducteurs, tes mandataires, tes propres représentants, lâches esclaves du plus vil des mortels ? Quel opprobre, quelles angoisses, quelles calamités n'a tu pas souffertes de la part de la horde nombreuse de tes implacables ennemis ? Et ta patience n'est pas au bout ! Pour combler la mesure, faudra-t-il donc t'exposer encore aux perfidies des nouveaux scélérats ? Et quels désastres te reste-t-il à éprouver de la part des puissances conjurées contre toi, si ce n'est la dévastation et des supplices ignominieux ? Tant de malheurs n'ont fondu si long-temps sur ta tête, que pour n'avoir pas connu l'atrocité de tes chefs, et n'avoir pas su démêler le noir tissu des artifices qu'ils ont employés pour te remettre à la chaîne. Le tableau que je mets aujourd'hui sous tes yeux, était destiné à l'instruction de tes enfants : puisse-t-il les pénétrer d'horreur pour la tyrannie ? Fuisse-t-il les tenir en garde contre les machinations de leurs mandataires ? Puisse-t-il les armer contre les entreprises du cabinet, et puisse le monarque ne jamais les prendre au dépourvu. ...

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