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Lovecraft Phillips Howard - L'indicible


Auteur : Lovecraft Phillips Howard
Ouvrage : L'indicible
Année : 1923

Lien de téléchargement : Lovecraft_Phillips_Howard_-_L_indicible.zip

Nous étions assis sur une pierre tombale abandonnée, vieille de trois siècles, par une fin d’après-midi d’automne, dans le vieux cimetière d’Arkham, et l’indicible occupait nos pensées. Les yeux fixés sur le saule géant de ce territoire réservé aux morts, dont les puissantes racines, puis le tronc, avaient presque englouti une dalle indéchiffrable, je m’étais permis une remarque bien personnelle sur les sucs fétides autant que subtils que l’inexorable réseau nourricier de l’arbre devait distiller de la terre séculaire de cet ossuaire ; mon ami s’était moqué de ce qu’il avait appelé des enfantillages et m’avait répondu que puisque aucun ensevelissement n’avait eu lieu en cet endroit depuis plus d’un siècle, la terre ne pouvait rien receler que de parfaitement normal. De plus, avait-il ajouté, ma préoccupation constante de ce que j’appelais les choses « innommables » et « indicibles » trahissait en moi un esprit fort puéril, non sans rapport avec ma réussite plus que relative dans le métier d’écrivain que je m’étais choisi. J’aimais trop terminer mes histoires sur des spectacles ou des bruits qui paralysaient les facultés de mes héros, et leur enlevaient toujours le courage, les moyens ou la force de raconter ce par quoi ils étaient passés. Nous ne connaissons les choses, avait-il dit, que par l’intermédiaire de nos cinq sens ou de nos intuitions religieuses et, par conséquent, il est impossible de parler sérieusement d’un objet ou d’un spectacle que ne peuvent expliquer clairement les définitions solides qu’offrent les faits aussi bien que les doctrines admises des théologies – de préférence du reste la théologie congrégationaliste, tout en acceptant les transformations, les adaptations imposées par la tradition ou par sir Arthur Conan Doyle. J’avais souvent partagé de longues heures pâles avec cet ami, Joel Manton, en discussions interminables. Docteur de l’East High School, né à Boston, élevé dans cette ville, il en partageait l’indifférence caractéristique et satisfaite de toute la Nouvelle-Angleterre à l’égard des harmoniques les plus délicats du monde sensible. Selon lui, et c’était le point de vue qu’il défendait, seules nos expériences normales et objectives ont une signification esthétique, et le rôle de l’artiste est moins de susciter des émotions fortes à l’aide de l’action, de l’extase ou de la stupeur que d’entretenir un intérêt calme et permanent, un jugement sain chez le lecteur à l’aide de transcriptions exactes et détaillées de la vie quotidienne. Il s’élevait tout particulièrement contre mon souci du mystique et de l’inexpliqué. Car, quoique croyant bien plus que moi, à un certain point de vue, au surnaturel, il refusait de le tenir suffisamment ordinaire et fréquent pour avoir le droit d’intéresser le travail littéraire. Qu’un esprit pût trouver ses joies les plus hautes dans des échappées originales, aux antipodes de la routine de tous les jours, et dans des combinaisons aussi frappantes que neuves de ces images que l’habitude et la lassitude, à force de les faire repasser dans le sillon ébréché et usé de la normale, ont dépouillées de tout élément vivant, voilà qui était impensable pour cet esprit clair, pratique et éminemment logique. Pour lui, toute chose, tout sentiment avait des dimensions, des propriétés, des causes et des effets bien déterminés ; et quoiqu’il eût vaguement conscience du fait que l’esprit parfois nourrit des visions et des sensations d’une nature beaucoup moins géométrique, classifiable et utilisable, il se croyait justifié à tracer une frontière arbitraire, et à tenir pour quantité négligeable tout ce qui ne peut être vécu et pleinement compris par l’homme de la rue. De plus, il était pratiquement certain que rien ne pouvait être vraiment « indicible ». Cela ne lui paraissait pas sérieux. Quoique parfaitement conscient de la futilité d’une discussion sur l’imaginaire ou la métaphysique en face du solide bon sens d’un citoyen normal de nos contrées, quelque chose dans ce décor et dans le moment fit naître en moi une humeur querelleuse plus marquée qu’à l’ordinaire. Ces dalles d’ardoise à moitié délitées, ces arbres patriarcaux, les toits en croupe de la vieille cité, autrefois familière aux sorcières, qui s’étendait autour de moi, tout cela se combina pour me pousser à entreprendre la défense de mon travail. Même, je ne tardai guère à lancer mes troupes en territoire ennemi. En vérité, la contre-attaque n’était pas bien difficile, car je savais que Joel Manton, en fait, se souvenait plus qu’à moitié de mille superstitions de vieilles femmes que toutes les personnes sophistiquées ont oubliées depuis longtemps. Croyance, par exemple, que des agonisants peuvent apparaître subitement de l’autre côté du monde, ou que des têtes d’autrefois peuvent laisser leur marque sur les vitres à travers lesquelles elles ont regardé pendant toute leur vie. Accorder foi à ces rumeurs dignes de la campagne, insistai-je, attestait sa foi en l’existence de substances fantomatiques sur la terre, différentes de leurs contreparties matérielles bien que liées à elles. Ce qui supposait le droit de croire en des phénomènes inexplicables par les concepts courants ; car si un homme mort peut transmettre son image tangible et visible de l’autre côté du monde, ou lui faire enjamber le cours des siècles, comment serait-il absurde d’imaginer que des demeures abandonnées peuvent être peuplées de choses bizarres mais sensibles ou que les vieux cimetières bruissent de l’intelligence terrible et désincarnée des générations disparues ? Et comme l’esprit, pour pouvoir provoquer toutes les manifestations qui lui sont attribuées, ne peut se plier aux lois qui régissent la matière, pourquoi serait-il grotesque d’imaginer des choses mortes douées d’une vie psychique et possédant des formes ou des absences de forme qui seraient pour les humains ordinaires foncièrement, terriblement innommables ? Le « bon sens », opposé à ces notions, déclarai-je à mon ami non sans quelque chaleur, n’est qu’une méprisable et pitoyable absence d’imagination et de souplesse mentale. ...

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