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Henriot Philippe - Le 6 février


Auteur : Henriot Philippe
Ouvrage : Le 6 février
Année : 1934

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Car ils ont raison tous ceux qui parlent de coup de force. Le 6 Février fut bien la journée du coup de force. Mais ceux qui le tentèrent n’étaient pas les « fascistes » ni les « troupes de la réaction ». Bien au contraire. Et nul ne peut comprendre le véritable sens de la journée tragique s’il n’en connaît les préliminaires et les préparatifs. Un an de régime cartelliste avait recréé dans le pays tout entier les déceptions et les amertumes de 1926. Les ministères s’écroulaient les uns sur les autres. Le parti radical, seul chargé des responsabilités et des bénéfices du pouvoir, s’irritait de sa propre impuissance. Prisonnier d’une littérature démagogique, aussi encombrante après les élections qu’elle avait pu être fructueuse avant, il ne pouvait que partager son temps entre les imprécations qu’il lançait à ses adversaires de droite et les reproches amers dont il accablait ses alliés à éclipse de la S. F. I. O. Aussi bien les cadres des deux partis craquaient-ils de toutes parts. La scission s’était faite au sein des socialistes. Un mouvement de dissidence se dessinait maintenant chez les radicaux où les néo- radicaux apparaissaient comme les frères jumeaux des néo-socialistes. Bertrand de Jouvenel, Jean Luchaire, Pierre Cot, Pierre Mendès-France, Jacques Kayser, Jean Zay, se distinguaient par leurs piaffements d’impatience. Ils donnaient d’ailleurs à leur vocabulaire le ton de la littérature révolutionnaire, sans même en éviter les poncifs usés. Pierre Cot, en des articles sarcastiques sur le désarmement publiés dans la République, avait pris le ton depuis longtemps. Le 15 novembre 1932, on pouvait lire sous sa signature : « Dès aujourd’hui, je veux indiquer que pour assurer le contrôle international, il me paraît indispensable de porter atteinte aux intérêts sacrés des marchands de canons. Je dis « sacrés », car je commence à croire que si tant d’hommes ont souffert de 1914 à 1918, ce fut pour ces Messieurs. « Mais nous ne recommencerons pas. « La seule guerre que je consente à faire et pour laquelle une fois de plus, je risquerais ma vie, c’est celle que nous ferons contre les profiteurs de la paix armée et « de la guerre. Et contre leurs alliés conscients ou inconscients : je dis inconscients « pour ménager toutes les susceptibilités, toutes les médiocrités et tous ceux qui croient encore que la course aux armements et la méfiance internationale peuvent fonder la paix. » On reconnaît le sophisme habituel et ce futur ministre de la Défense nationale annonce déjà qu’il accepterait éventuellement d’un coeur léger la guerre civile. Un Jean Zay a pareillement commencé de bonne heure à se montrer libéré de tous les préjugés du patriotisme en écrivant une page infâme dont il a essayé de s’excuser en expliquant laborieusement, en commentant subtilement. Hélas ! ni commentaires, ni explications, ne prévalent contre un texte qui se suffit à luimême et qui en dit long sur la mentalité de celui qui, à vingt ans, faisait sous cette forme, ses premiers essais littéraires. Plus significative encore que la page est cette dédicace à Paul Dreux où il laisse entendre que ce chapitre n’est, dans son intention que le premier d’un livre qu’il compte intituler les Respects. Ainsi, manifestait-il son mépris des préjugés traditionnels en attaquant d’abord, entre tous les respects, celui qui entoure le symbole de la Patrie. On a lu dans la presse, ce morceau sur le drapeau dont nous rappelons ici quelques phrases seulement, car la décence nous contraint d’expurger. « Ils sont quinze cent mille qui sont morts pour cette saloperie-là. « Quinze cent mille dans mon pays, quinze millions dans tous les pays. Quinze cent mille hommes morts pour cette saloperie tricolore... « Qu’est-ce que c’est que cette loque pour « laquelle ils sont morts ? « Quinze cent mille pourris dans quelque cimetière, sans planches et sans prière... « Pour cette immonde petite guenille ? « Terrible morceau de drap cloué à ta hampe, je te hais férocement : oui, je te hais dans l’âme ; je te hais pour toute la misère que tu représentes, pour le sang frais, le sang humain aux odeurs âpres qui gicla sous tes plis ; je te hais au nom « des squelettes... « Ils étaient quinze cent mille... « Je te hais pour tous ceux qui te saluent ; je hais en toi la vieille oppression séculaire, le dieu bestial, le défi aux « hommes que nous ne savons pas être ; je « hais tes sales couleurs, le rouge de leur sang, le bleu que tu volas au ciel, le blanc livide de tes remords... » Étrange équipe que celle qui a de tels porte-parole. Autour d’eux, des intellectuels, des écrivains d’avant-garde, snobs gagnés à un bolchevisme moral et politique, arrivistes précocement aigris, les appuient et les encadrent. Ils font ainsi à bon marché figure de bousculeurs et de novateurs. Ils ont des « doctrines » hardies et entendent secouer le joug des pontifes. Herriot, en particulier, est l’objet chez eux de haines vigoureuses. Son sentimentalisme verbal, son perpétuel attendrissement, son auto-idolâtrie, les exaspèrent. Enfin, ils tiennent à garder le contact avec les révolutionnaires de tout poil, de Gaston Bergery à Marcel Déat. L’un et l’autre les attirent, le premier par son audace froide, son inquiétante et ténébreuse activité ; le second par une sorte de résolution morose et sardonique et par sa rigueur de doctrinaire ; tous les deux par l’impression. diverse et commune qu’ils donnent d’être implacables. Implacables. Peut-être est-ce le mot qui caractérise le mieux ces « jeunes ». On le rencontre à chaque page de leur littérature. Le 28 décembre 1933, dans la République, M. Georges Roux écrivait : « Les premiers républicains, encore dans la verdeur de leur foi, n’hésitèrent jamais devant le choix- des moyens pour sauver la République... « Tant que dura leur règne, ils assurèrent la sauvegarde du régime parce qu’ils se montrèrent implacables et ne s’embarrassèrent d’aucun autre préjugé que celui du salut public... » Le 4 janvier1934, c’est M. Gaston Martin qui précise dans le même journal, les caractéristiques du jacobinisme de demain : « Il aboutira, lui aussi, à un âpre sursaut d’énergie et à une implacabilité de décision. Il ne sera ni moins dur pour les adversaires ni moins injuste dans l’élimination des résistances. » Car le « jacobinisme » le hante. Ce mot agit sur eux à la manière d’un alcool. M. Gaston Riou écrit, toujours dans la même feuille, à la date du 2 décembre 1933 : « Il y a un peu plus d’un an, dînant à Paris avec quelques jeunes députés, je fus surpris de cette prophétie de l’un d’entre eux, approuvée de tous : « La législature finira au fond de la Seine. » « Pour dire la vérité au corps qui incarnait jusqu’ici, à nos yeux et aux yeux de tout le peuple républicain, le plus profond de notre foi civique, cette parole, de l’un de nos meilleurs députés, ému de son premier contact avec la Chambre, j’ai entendu beaucoup de simples citoyens, ces derniers temps, la prononcer — ou d’équivalentes. « Je parle des milieux de gauche. Et, dans ces milieux, des quelques-uns en qui veille, pur et dévorant, l’idéal démocratique. « Là, chaque jour, grandit le jacobinisme. Là, chaque jour, le Parlement, naguère révéré, est mis en question — et tend peu à peu à occuper, dans les soupçons, la place tenue par la Cour aux environs de 1739 — la Cour, empêcheuse de réformes. » Le 21 décembre, M. Jacques Kayser s’efforce de stimuler chez ses amis le goût des méthodes énergiques : « ... Ce serait une lourde faute que d’attendre pour tenter de passer à l’action ou pour regretter de ne pas y être passé, que de nouvelles difficultés financières soient en vue. » M. Gaston Martin dans un article du 3 janvier réclame « la mainmise au collet des factieux : « Autour de Robespierre, les Jacobins qui comptent n’étaient pas plus de vingt-cinq sur neuf cents députés à la Convention. Il suffit aux Chambres françaises d’autant d’hommes et d’un chef pour conjurer une crise... » Le 25, Gabriel Cudenet répète une fois de plus : « ... C’est précisément l’esprit de la Révolution française qui est en cause, et c’est la contre-révolution qui se refait, avec le fascisme, l’état civil que l’orléanisme et le boulangisme lui fabriquèrent un instant. « Contre le néo-césarisme, qui traîne toutes les ambitions et tous les malheurs de l’autre : front unique. Nous transformerons la cité, un jour !... Oui !.., Mais « quand nous serons entre gens capables de comprendre et de traduire toute la grandeur jacobine du mot citoyen. » Le 29, c’est au tour de M. André Sanger, de prophétiser avec le même vocabulaire : « Le gouvernement de demain ne peut être que de gauche, et il le sera. « Il le sera, car pour apporter les solutions immédiatement réalisables dans le maximum de justice, il n’est qu’une possibilité : s’inspirer de la saine tradition « jacobine. « L’heure n’est ni à la faiblesse ni aux hésitations. « Celle de l’action est venue. « ... La horde de factieux qui emplissent la rue de leurs clameurs, royalistes, bonapartistes et jeunesses patriotardes, n’empêchera pas que demain un gouvernement de gauche aura la direction des affaires publiques pour, avec jeunesse, énergie et hardiesse, faire, à ce poste de combat, tout son devoir. » On le voit : l’esprit dans lequel il faudra instituer la dictature de gauche, accepter « l’action », le « poste de combat » est nettement révélé dans ces citations. Mais comment ne serait-on pas frappé aussi de constater que ces réformateurs n’échappent pas à une emprise livresque qui apparaîtrait même assez puérile, si l’on ne savait à quels jeux sanglants elle peut mener et comment finissent les ambitions de ceux qui voulurent plagier Saint- Just ou Robespierre. Tout, en effet, nous les montre imprégnés d’un invincible besoin de copier qui révèle tout de suite leur insuffisance. Ils ont lu, beaucoup lu. En même temps, à force de dénoncer les fascismes, ils demeurent hantés par les ambitions parvenues qu’ils envient autant qu’ils les condamnent. Singer Mussolini ou Hitler, copier leurs procédés ; se couvrir, pour donner le change, du patronage de la Convention qui, lui, ne saurait choquer les « républicains », — telle est l’idée qui les domine. Ainsi apparaissent-ils dépourvus de toute imagination, ces intellectuels qui souhaitent faire la révolution selon les recettes qu’ils ont apprises dans les livres. Daladier, ce professeur, Cot et Frot, ces avocats, La Chambre, cet aristocrate de gauche, des créateurs ? Non pas : des plagiaires ! Des novateurs ? pas le moins du monde : des acteurs, de mauvais acteurs qui ont appris leurs rôles mot à mot et, l’heure venue, ne sauront même pas les réciter... Pour le moment, dans leur équipe, le grand homme avoué, c’est Daladier, puisqu’il est convenu qu’il représente l’énergie, que jusque dans les milieux modérés cette énergie est un dogme et que ce butor passe pour un intransigeant... Puisque avec lui on ne risque pas d’éveiller les soupçons, va pour Daladier ! ...

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